Où M&M's sont des volontaires motivés (The One with no boat and a funny teenager)

Publié le par Marjo

Lundi matin, il pleut à verse sur Villa. Marek doit repartir à Isla Victoria par le bateau des touristes, mais en basse saison touristique et avec un temps de clebs, pas sûr qu'il sorte ! On va donc passer un ou deux coups de fil pour tenter d'avoir des infos, sans succès. En chemin, on voit de loin un groupe de 6ème à qui je sers d'apprentie-prof-d'anglais.

On va donc directement au port, avec une bonne demi-heure d'avance. L'un des bateaux restera à quai jusqu'en juin (...), l'autre ne sortira que si trois touristes minimum paient leur billet, et c'est pas gagné ! On rallie le bureau des garde-parcs distant de 50 mètres pour demander de l'aide, et que voit-on en chemin, un bateau "officiel" de la préfecture qui s'apprête à partir. Marek va leur demander s'il pourrait l'emmener, munie de la casquette magique qui atteste son statut de travailleur non-payé, mais les lois de la préfecture sont cruelles : il s'agit d'un bateau spécial affrêté par un particulier (comprendre qu'il paie l'essence), ce qu'ils traduisent par "Mission Spéciale". Tiens, c'est peut-être Tom Cruise le particulier. Du coup, ils ne sont pas décideurs.

Au bureau des garde-parcs, on nous fait la même réponse : le bateau de la préfecture est en mission spéciale, impossible de savoir si le bateau de tourisme sortira ou pas, reste plus qu'à attendre. Un mate ? Oui merci :-). On explique une douzaine de fois, à une douzaine de personnes, que non non, moi je ne voyage pas, Marek oui par contre, oui oui il fait un volontariat sur l'île, non non moi je reste sur le continent, oui lui il aimerait bien prendre la navette spéciale si y'avait de la place. Sans doute une faille spatio-temporelle dans le bureau des gardaparques de Villa, on pensait pas qu'ils étaient si nombreux dans un espace si petit.

Or, rebondissement incroyable et inattendu, qui voilà qui entre dans le bureau des garde-parcs ? Tom Cruise.

Ou presque. Un peu moins beau, un peu plus grand, presque aussi héroïque, c'est l'affrêteur de la mission spéciale, le mécène de la préfecture, l'homme qui a payé 140 pesos de carburant. "Monsieur Tom, vous pourriez m'emmener sur votre bateau en mission spéciale, s'il vous plaît ?". L'homme hésite, il a peur de ne pas avoir l'autorisation de la préfecture, qui, elle, refuse parce qu'elle n'a pas la sienne, d'autorisation. Kafkaien.

Une gardaparque dynamique décide d'aller voir les militaires (ici la préfecture, c'est l'armée) et de leur expliquer la situation. Elle revient avec un air désolée.

"Ils sont d'accord pour emmener l'un d'entre vous, mais pas les deux". Le coup est rude : notre español est pourri, c'est sans appel.

On explique avec un sourire que tant pis, ça ira très bien, et Marek court jusqu'au bateau qui part dans la minute. Il saute sur la vedette pleine de militaires en uniforme beige, et le bateau part : gyrophare, sirène, drapeau qui flotte au vent, et un gars au garde-à-vous à l'avant de la navette. Ca avait de l'allure, vraiment, j'ai regretté de ne pas avoir l'appareil photo.

Le lendemain, j'arrive en cours, les élèves s'installent, et au premier range, un élève me regarde droit dans les yeux et me dit :
"Je vous ai vue hier en ville"
(rappelez-vous, je marchais main dans la main avec Marek)
"Moi aussi je t'ai vu !"
"Vous avez pas perdu de temps, hein ?!"

Je suis tellement scotchée que je fais ce que je m'étais promis de ne plus faire, jamais, auprès de quiconque, sous aucun prétexte : me justifier. Le responsable s'appelle Emiliano, il a 12 ans et une bouille toute ronde craquante.

"Mais euh... c'est mon mari !!"
"Ah bon. Ca va alors."

Au fou-rire qui nous a pris tous les deux, je pense qu'il n'était pas sérieux. Ca me fait encore rire de l'écrire.

Depuis deux jours, je passe quelques heures à l'internat des garçons -c'est-à-dire l'école- le soir, en prévision du partiel d'anglais qui arrive. Oui oui, des partiels, l'école est organisée comme ça, je trouve ça un peu rude mais les élèves disent qu'ils préfèrent...

Je donne donc des "cours particuliers", un élève par un élève, et c'est vraiment génial : ça permet de faire connaissance un peu plus en profondeur, de discuter de plein de choses, de laisser s'installer la confiance, c'est vraiment riche. Sur un plan strictement scolaire, j'ai l'impression que ça sert à quelque chose, mais c'est l'humain qui prime, et ça me fait du bien autant qu'à eux je crois.

Publié dans Patagonie

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